La langue kabyle (tha kvayelith textuellement « le kabyle ») se rattache au groupement berbère qui comporte plusieurs variantes. La Kabylie représente la deuxième concentration de berbérophones après le Souss (Sud du Maroc). Estimée à plus de 6 millions de locuteurs (la moitié des berbérophones algériens), cette langue est très proche du chenoui (parlé dans le Chenwa à l'ouest d'Alger) et du chaoui (tachaouit) parlé dans les Aurès au sud-est de la Kabylie. Très attachés à leur identité berbère, les Kabyles revendiquent la reconnaissance du pluralisme linguistique, notamment par la consécration pour la langue Tamazight (Berbère) dans la Constitution algérienne d'un statut de langue officielle, en plus de celui de nationale déjà accordé.
Tha kvayelith (« la kabylité ») signifie aussi dans la sémantique kabyle en général, la référence à un système de valeurs ancestrales (code de l'honneur) non contradictoire de l'esprit du clan qui régulent et gèrent la vie collective à l'échelle d'un village ou d'une tribu ou confédération.
Historique
La langue kabyle est une des langues berbères les plus connues et les plus étudiées, surtout depuis 1844. La proximité de la Kabylie avec Alger la mettent à la portée des linguistes et des universitaires français dès le XIXe siècle. La plupart des dictionnaires et grammaires ont été réalisés dans les premières décennies de la présence coloniale française.
- Armée coloniale française
- 1844 : premier dictionnaire du kabyle.
- 1846-1877 : Création du Fichier de documentation berbère.
- 1858 : Adolphe Hanoteau publie le premier Grammaire kabyle.
- 1867 : Recueil Poésies populaires du Jurjura par Adolphe Hanoteau.
- 1873 : La Kabylie et les coutumes kabyles de Adolphe Hanoteau et Aristide Letourneux, est une sorte d'encyclopédie, base d'information sur la Kabylie, de nos jours encore fait figure d'ouvrage de référence.
- Université française et indigène
- 1880 : ouverture d'un bureaux berbère dans la nouvelle École supérieure de lettre d'Alger (future Université d'Alger). Le premier professeur (maître de conférences) est Si El Hachemi ben Si Lounis.
- À partir de 1900, les berbérisants sont majoritairement originaires de la Kabylie (Saïd Cid Kaoui, Belkassem Bensedira, Amar Saïd Boulifa, etc…). L'aménagement de la langue se poursuit.
- 1946-1977 : Création du Fichier de documentation berbère initié par les Pères blancs. En plus de rassembler un important matériel linguistique, le Fichier contribuera à une standardisation de la langue et la création d'une transcription latine adaptée.
- 1962 : l'Algérie indépendante, qui se proclame « arabe », ferme les bureaux d'étude berbère dans les universités du pays.
- L'apport de Mouloud Mammeri
- 1969 : « Les isefra de Si Mohand ou M’hand », Mouloud Mammeri.
- 1976 : Tajerrumt n tmazight (tantala taqbaylit) par Mouloud Mammeri, première grammaire kabyle écrite en langue kabyle.
- Le printemps berbère
- 1980 : Mouloud Mammeri publie les Poèmes kabyles anciens. L'interdiction d'une de ses conférences à l'université de Tizi Ouzou sur la poésie kabyle ancienne est à l'origine des événements du Printemps berbère, violente répression du mouvement linguistique berbérophone en Kabylie et à Alger.
- 1982 : Dictionnaire kabyle-français de Jean-Marie Dallet.
- 1990 : Ouverture d'un département langue et culture berbère à Tizi Ouzou puis à Béjaia en 1991.
- 1994-1995 : « Grève du cartable » en Kabylie pour exiger l'officialisation du berbère au côté de l'arabe. Le berbère n'est pas officialisé mais à partir de 1995, le kabyle arrive dans l'enseignement scolaire, toutefois sans moyens ni structure pour une mise en place sérieuse dans l'enseignement. Et un Haut Commissariat à l'Amazighité (HCA) est crée.
- Le printemps noir
- 2001 : Après l'assassinat d'un jeune étudiant kabyle dans une gendarmerie, éclatent les émeutes du « Printemps noir » qui coûteront la vie à plus de 120 algériens (Kabyles) et feront des milliers de blessés, en majorité des jeunes. Les revendications démocratiques par une grande partie de la population n'est pas prise en compte par le pouvoir, mais en concession une grande partie des revendication culturelles et identitaires (Plate-forme d'El-Kseur) sont acceptées.
- 2002 (10 avril) : Le berbère est mentionné dans la Constitution et devient langue nationale, sans mesures pratiques ni officialisation.
Passage à l'écrit
Les auteurs kabyles francophones sont les premiers à traduire et publier la poésie berbère (tel Jean Amrouche) comme l'œuvre du poète Si Mohand (Amar Saïd Boulifa, Mouloud Feraoun puis Mouloud Mammeri).
Clandestinement avant 1980, puis plus rapidement depuis, les culturalistes kabylophones poursuivent l'effort permettant à la langue de passer à l'écrit, essentiellement en alphabet latin. L'Académie berbère (à Paris) puis les associations depuis ont joué ce rôle d'aménagement linguistique. Les œuvres de Bertolt Brecht, Molière, Kateb Yacine, Anton Tchekhov... ont été traduites et/ou adaptées en kabyle essentiellement par Muhend U Yehya décédé en 2004.
La fin des années 1990 a vu la naissance d'un cinéma berbérophone essentiellement kabyle avec des œuvres comme La Colline oubliée de M. Bouguermouh, la Montagne de Baya de Azdine Meddour, Machaho de Belkacem Hadjadj et Mariage par annonces ; Si Mohand ; et la production audiovisuelle en kabyle relativement professionnelle mais prometteuse réalisée par les bénévoles de Berbère TV.